Du jour où j’ai vu le plus beau lapin du monde
Jamais, au grand jamais, je me l’étais promis, juré, jamais je ne succomberai…
Ni au collier de coquillettes, ni à la boîte à bijoux camembert, ni à la poule en feuilles mortes, ni à n’importe quelle autre réalisation enfantine de mauvais goût…
Moi même habituée des recyclages pédagogiques et des
« œuvres » kitchissimes de Pimprenelle et Nicolas, je pensais être vaccinée contre l’émerveillement pathétique des jeunes mamans gâteuses…
C’était sans compter le lapin…
Il me guettait au tournant et il m’a prise par surprise, là au détour d’un couloir, avec son pelage en boules de coton, son petit nez rose, ses jolis yeux bleus dessinés au feutre et comme tatouage sur son derrière : le prénom de ma Blondinette chérie…
Forcément, il ne m’a laissé aucune chance, dès que je l’ai aperçu, j’ai su que j’allais rendre raison et que s’en était fini de mes bonnes résolutions…
Et voilà la mère au foyer plantée au milieu du couloir de la maternelle, hypnotisé par le lapin en coton pendant que Blondinette tire sur sa manche en criant « Allez, maman, on y va !!! » et que Brunette astique le lino à grands coups de Pingou…
Mais rien à faire, la mère au foyer s’est transformée en fondant à la guimauve parfumé à l’eau de rose…
Toute émotionnée qu’elle se trouve à la vue de ce lapin bleu, rappelée à ses propres souvenirs d’enfance, touchée en plein cœur dans sa tendresse de mère et saisie par l’évidente vérité de l’émancipation de sa chair…
Car oui, c’est un fait, Blondinette a réalisé le plus beau lapin du monde… toute seule, comme une grande, sans sa maman…
Et notre cucul la praline, empâtissée entre sa nostalgie et sa fierté, succombe sans résistance à la fatale gnangnantise parentale…
De retour au foyer, elle se dit même qu’il va falloir songer à dénicher une boîte à trésors pour conserver précieusement les lapins, les poules, les colliers et toutes les œuvres d’art que Blondinette pourra confectionner, parce que finalement, la guimauve à l'eau de rose n’a pas si mauvais goût que ça…