De son fiston
Il paraît qu’il a de grosses roubignolles…
Il paraît qu’on va refaire la déco de sa chambre avec des posters de G-I Joe…
Il paraît qu’il sera avant centre de l’équipe de France de football pour la coupe de monde 2030…
Il paraît que « Tiens voilà du boudin, voilà du boudin, pour les alsaciens… » c’est une berceuse…
Il paraît que maintenant à la maison, on a le droit de
« pisser » debout sur la lunette et qu’on nous « embête » -pour être polie-
Il paraît que ma petite cage à oiseau bleue « cucue », n’est pas assez « couillue »...
Il paraît qu’on a décidé de boycotter le rose et le violet et qu’à compter de ce jour, seuls le rouge et le kaki auront droit de séjour…
Il paraît qu’à Noël, on va lui offrir un sac de billes, pour qu’il apprenne à dégommer les barbies des filles…
Il paraît qu’Hello Kitty est morte en s’étouffant avec un cupcake à la myrtille…
Il paraît que de lui donner « Golgoth » comme « p’tit
nom » peut avoir un certain effet pygmalion…
Sinon, moi aussi, je suis super fière d’avoir un fiston…
Mais comme je reste optimistement résolue à croire, malgré des années de pratique, que « virilité » et « poésie » ne sont pas antinomiques…
Voici les mots que j’ai toujours rêvé de te dire un jour, mon fils : ce sont ceux d’un homme pour son garçon; écoute bien, ils sont aussi pour toi, mon fiston
« gros roustons »…
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un Homme, mon fils.
Rudyard Kipling